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Sur le terrain

La montée en puissance du data : une évolution essentielle pour la police

Delphine Lempereur

Delphine Lempereur

Delphine Lempereur voulait entrer à la police. Après des études en criminologie, elle passe les examens d’entrée à l’Académie de Police pour être inspecteur. Forte de son master, elle tente en parallèle le concours externe d’officier. Sélectionnée, elle choisit l’École des Officiers, à Etterbeek. Zoom sur le parcours de la Cheffe de Corps de la zone de police Brunau et sur sa vision des services d’ASTRID, basée sur une solide expérience du terrain.

Delphine Lempereur

En 2008, vous sortez de l’École des Officiers en étant commissaire. Avec un plan de carrière ?
Je voulais faire du terrain. J’ai demandé mon détachement à la zone de police Midi : Anderlecht, Forest, Saint-Gilles. Cela m’a permis de faire de l’intervention, comme directrice d’un groupe d’intervention. Mon but était d’asseoir une certaine crédibilité et qu’on ne me reproche pas, plus tard, d’être un officier qui ne connaît pas les réalités de terrain et les difficultés auxquelles les équipes sont confrontées. Et puis, quand on est jeune, on a envie d’être dans le feu de l’action, au cœur de la population.

J’ai fait de l’intervention pendant plusieurs années. Ensuite, pour concilier vie privée et vie professionnelle sans faire le deuil du terrain, je me suis orientée vers le service de proximité. J’étais au Parvis de Saint-Gilles, avec des horaires plus compatibles avec une vie de famille mais qui me permettaient de garder un pied sur l’opérationnel.

De Bruxelles, vous mettez le cap sur le Brabant wallon…
Oui. J’ai voulu orienter ma carrière différemment et aller vers une zone de police moins grande que la zone Midi. Je voulais participer davantage à la stratégie de la zone, avoir quelque chose à dire dans sa configuration. C’est pourquoi j’ai postulé pour un poste en « qualité et stratégie » à la zone de police Nivelles-Genappe. Toujours en local, donc.

J’y ai passé plusieurs années. Et comme, là, il y a moins d’officiers, on ne fait pas que de la procédure et de la stratégie, mais aussi des services d’ordre. C’était un bon compromis pour moi. Et cela m’a permis de participer beaucoup plus aux orientations stratégiques de la zone. C’est comme cela que, progressivement, j’évolue dans une hiérarchie plus stratégique. Parce que, quand on est commissaire, on n’est pas directement au « top level ». On fait d’abord un peu de terrain, puis on est de plus en plus associé aux mécanismes de décision dans une organisation. C’est ce qui m’intéressait, avec la maturité qui vient tout doucement…

Vous devenez ensuite directrice des opérations de la police fédérale du Hainaut.
Pendant que je travaillais à la zone Nivelles-Genappe, j’ai passé mon brevet de direction pour devenir commissaire divisionnaire. Puis j’ai été contactée par le divisionnaire Laurent Coucke, qui m’a demandé si j’étais intéressée par un poste de directrice des opérations à la police fédérale du Hainaut. J’ai accepté.

J’ai eu de la chance parce que, normalement, plus on monte, plus on fait le deuil du volet opérationnel. Mais là, je devais coordonner le service d’ordre des activités récréatives, sportives et revendicatives – les grosses manifestations, dès qu’elles avaient un caractère supra-local. Nous avons eu en charge de gros dossiers, mais aussi des dossiers tout à fait spécifiques, comme des reconstitutions organisées par le comité P. D’autre part, il y a l’encadrement des courses cyclistes, des manifestations « gilets jaunes » : de gros événements qui impliquent plusieurs zones de police.

Ce qui nous amène à Brunau…
Être cheffe de corps était mon objectif depuis mon entrée en fonction et l’emploi à la zone de police Brunau a été publié. A la police locale, je retrouve la proximité avec la vie citoyenne et c’est cela que je recherche. La proximité avec mon personnel aussi : on est en contact direct avec les équipes que l’on gère. Et puis, la proximité avec les autorités administratives et judiciaires, puisque l’on a des contacts plus réguliers.

Ici, nous agissons vraiment en première ligne. Nous sommes dans le vif de l’actualité de la zone de police. C’est ce que j’aime à la police locale et c’est ce que je souhaite retrouver, aujourd’hui, comme cheffe de corps. Avec plus de responsabilités : c’est l’évolution normale des choses. A un moment, on a envie de se lancer.

Quels sont les défis que vous rencontrez au niveau de la communication ?
Partout où je suis passée, quand il y a eu des disfonctionnements opérationnels ou même en termes de fonctionnement quotidiens, c’était lié à des problèmes de communication. Au niveau supérieur ou au niveau inférieur. On pensait avoir communiqué suffisamment sur certaines directives, et ce n’était pas le cas. De manière générale, c’est souvent un problème de communication quand ça capote.

Et la communication au niveau technique, en intervention ?
Elle est cruciale. Ce qui fonctionne moins bien, parfois, c’est plus une question de discipline que de technologie. Parfois, on utilise mal les canaux de communication, on les pollue en parlant trop. Je crois que chaque fois que nous avons eu des problèmes, c’est parce que les collègues n’avaient pas été informés du « speed dial » pour se mettre rapidement sur une certaine fréquence, ou qu’ils utilisaient la mauvaise fréquence. Si les équipes ont du mal à se mettre à la bonne fréquence, cela peut avoir des répercussions graves sur le plan opérationnel puisqu’on perd du temps.

En situation de catastrophe, il faut vraiment s’assurer que toutes les équipes mobilisées sur un événement urgent aient basculé sur la bonne fréquence avant de continuer – c’est toujours un moment très délicat. La discipline est valable à tous niveaux, comme pour les officiers qui préparent le dispositif et le schéma radio et l’expliquent lors du briefing. Il faut aussi que les équipes sachent utiliser leur matériel, ce n’est pas toujours le cas. Quand j’étais à la police fédérale, nous avions fait à destination des zones un petit mémo de tous les raccourcis « speed dial » pour que les équipes les aient dans leur carnet – et même en version à coller à l’arrière de leur radio.

Comment se déroule la collaboration avec ASTRID ?
Je suis ici depuis quelques mois, j’ai eu récemment les premiers contacts avec ASTRID via notre gestionnaire technique. Depuis lors, les contacts ont été nombreux. Par exemple par email, pour des documents que j’ai demandés. Je sais que, quand mon gestionnaire technique a un problème ou une question, il obtient toujours une réponse rapide. Et quand nous sommes confrontés à un dossier particulier, nous en parlons. Il y a beaucoup de disponibilité de la part d’ASTRID. C’est important pour nous, pour relayer les problèmes techniques du quotidien, mais aussi parfois pour des questions plus stratégiques.

Quelles évolutions sont nécessaires, selon vous ?
En ce moment, je sais qu’on s’oriente vers la 5G. Je pense que c’est essentiel d’évoluer, et de le faire avant que le système ne devienne obsolète pour ne pas avoir une fracture avec les évolutions technologiques que d’autres acteurs de la chaîne de sécurité utilisent, mais aussi les opérateurs. On doit évoluer. Par exemple, nous utilisons de plus en plus du data. Nous avons de plus en plus de supports numériques, qui sont très utiles parce qu’ils permettent de rationaliser les procédures administratives. Là où, avant, il fallait rentrer au bureau, ouvrir nos banques de données, encoder nos traitements administratifs, nous pouvons le faire directement sur le terrain grâce à des applications qui utilisent du data.

Sur leurs tablettes, les collègues ont accès à tout l’environnement policier : banques de données, environnements sécurisés… Ils pourraient même rédiger des PV sur place. Ici, on utilise plutôt les tablettes pour encoder des passages, des domiciliations… Nous avons aussi des applications pour faire la surveillance des habitations pendant les congés. Bref, des missions de sécurité publique qui, avant, nécessitaient un retour au commissariat et un traitement administratif assez chronophage. Clairement, on gagne du temps. Plus on facilite ces procédures administratives, plus on a des policiers disponibles sur le terrain.

Ces outils numériques qui facilitent notre travail rendent aussi la police attractive. Cela nous permet de quitter l’image un peu « dépassée » que l’on avait avant, car il faut que nous restions attractifs sur le marché de l’emploi. Le fait d’être moderne, d’avoir des outils qui utilisent du data, cela parle aux jeunes.

Les contraintes techniques sont-elles les mêmes ici et à Bruxelles ?
Non. A Bruxelles, il y a plus de contraintes techniques, il faut plus de discipline quand on utilise les fréquences radio. Il ne faut pas activer intempestivement la fonction « balayage » – qui permet de balayer plusieurs groupes. Le flux de parole est beaucoup plus dense, il faut veiller à ne pas monopoliser la parole.

A la zone Brunau, le fait que les communications soient un peu moins denses facilite les choses. Je vérifie parfois si ma radio est active ou fonctionne encore, parce que je n’entends rien (rires). Mais je n’ai pas dit que c’était plus facile. Parce qu’ici, ils sont tout seuls quand il se passe quelque chose. Ils ont peut-être deux équipes. Avant d’avoir du renfort, il faut du temps et cela peut être vraiment long. Et il s’agit parfois de dossiers dangereux.

A Bruxelles, c’est plus dense en général. Il y a aussi les grands événements qui sollicitent beaucoup les réseaux : les sommets européens, les sommets de l’OTAN… Et les marchés, tout simplement. Le marché du Midi, ce n’est pas un petit dispositif. Ici, avec la cavalcade de Fleurus, je vais découvrir. Ce sera peut-être le seul événement où l’on aura énormément de communications radio. Je vais peut-être détecter certains besoins.

L’évolution numérique fait partie de vos objectifs pour la zone Brunau…
Oui. L’un des défis que je me suis fixé pour la zone, c’est d’améliorer l’évolution numérique.  Mon prédécesseur s’est doté des outils, des supports techniques, mais ils n’étaient pas encore pleinement exploités. Nous avions encore des procédures très contraignantes sur le plan administratif. Il ne faut pas faire du numérique à tout prix, il ne faut pas créer une fracture numérique avec le citoyen. Mais il faut utiliser les supports numériques à bon escient, exploiter les bonnes applications – qui vont nécessiter du data, effectivement. L’objectif étant de rationaliser nos procédures et de garder moins longtemps les membres du personnel au bureau. Le tout, avec des outils et une interface plus sympathiques, qui nous rendront aussi plus attractifs sur le plan de l’emploi. D’où les évolutions que nous demandons. Nous devons rester en phase avec la société.

La police recherche d’ailleurs de nouveaux profils : informaticiens, ICT ?
Oui. Plus que jamais, des gestionnaires techniques. Parfois, la DRI – la direction fédérale qui développe les systèmes informatiques – implémente un nouveau système. On n’est pas toujours avisé longtemps à l’avance, on n’a pas le temps de s’y mettre, et je remarque que c’est dans ces cas-là que l’on s’adapte le plus facilement. Un peu comme pendant le COVID : nous avons tous été mis devant le fait accompli, il fallait utiliser Teams. Tout le monde s’est très vite habitué au système de visioconférence. Je pense que l’on doit pousser les évolutions technologiques. Préparer cela pendant 10 ans, ça ne sert à rien, on est déjà trop tard. Par contre, il faut accompagner les générations de policiers qui n’ont pas grandi avec ça. Teams, c’était une obligation et cela a fonctionné.

Je crois qu’on doit lancer des messages positifs. Comme avec tout changement, vous allez devoir vous adapter. Mais c’est intuitif. Moi qui ne suis pas une « geek », j’utilise les outils. Si j’estime que c’est facile d’utilisation et intuitif, je pense que ça l’est pour tout le monde !

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